Lens, Le Louvre : deux noms désormais liés, presque fusionnés et appelés à partager un destin commun, au service des publics, de l’art, de la beauté.
Le Louvre, jadis demeure des rois, est un palais qui depuis le Moyen Âge accompagne étroitement l’histoire de France. Le Louvre, devenu musée au cœur de la Révolution française, s’imposant vite comme un modèle, le « musée des musées », comme on l’a souvent qualifié depuis le XIXe siècle. Et Lens, ville chargée d’histoire située dans la région la plus jeune de France, le Nord-Pas-de-Calais, réputée pour son exceptionnel dynamisme culturel et la densité de son réseau muséal. Lens, idéalement située au carrefour de l’Europe, à proximité des principaux pays de l’Europe du Nord : la Belgique, l’Angleterre et l’Allemagne. Lens, une ville résolument tournée vers l’avenir.
Une tradition de partage
C’est en 2003 qu’a germé cette belle idée, ce rêve aujourd’hui devenu réalité. Ce rêve, il prend ses racines dans la vocation même du Louvre, conçu dès son origine, au XVIIIe siècle, comme un musée national dont les collections et le savoir-faire doivent être au service de l’ensemble de la nation et qui a vocation à irriguer tout le territoire. Au début du XIXe siècle déjà, Chaptal évoquait cette « part sacrée » que le Louvre doit réserver aux régions. C’est pour renouveler et revivifier cette tradition bicentenaire que nous avons voulu imaginer une forme inédite d’ouverture, non plus sous la forme habituelle de prêts d’œuvres ou de mise à disposition d’un savoir-faire, mais sous celle d’une véritable implantation loin de ses bases, d’un « Louvre hors-les-murs » où tout serait à inventer.
Le ministère de la Culture et de la Communication a lancé un appel à projets à travers toute la France. La région Nord-Pas-de-Calais et cinq villes, Arras, Boulogne, Calais, Lens et Valenciennes, ont présenté leur candidature. C’est le site de Lens qui a été finalement retenu, grâce en particulier au volontarisme exceptionnel dont a fait preuve la Région et son président, Daniel Percheron, dès le début de cette belle aventure.
Plus de cent vingt candidats, venus des quatre coins du monde, ont participé au concours d’architecture. Le projet retenu en septembre 2005 a été celui de l’agence japonaise Sanao. Il proposait une architecture de verre et de lumière résolument contemporaine, facilement accessible, proche du terrain, en continuité avec l’environnement. Le Louvre-Lens est un lieu de beauté mais aussi de fierté. Il s’incarne enfin et je n’hésite pas à le dire, il représente à mes yeux un des plus beaux bâtiments du XXIe siècle.
Un musée résolument contemporain
Sur le plan de l’architecture, c’est un Louvre contemporain qui s’articule autour de pavillons centraux avec des ailes, qui s’intègrent de façon très subtile et délicate dans le site. Le tout dans un magnifique écrin paysager pensé et réalisé par Catherine Mosbach.
La création du Louvre-Lens a été l’occasion, pour le Louvre, de reconsidérer ses missions, d’interroger ses collections, de sortir de ses murs et de se regarder d’un peu plus loin. L’occasion d’expérimenter ce qui ne peut être entrepris dans l’enveloppe et l’organisation contraintes du palais parisien. L’occasion, aussi, d’éprouver sur un terrain neuf la vocation sociale et éducative et d’inventer une nouvelle manière d’éduquer le regard du public sur l’œuvre d’art. C’est pour cela que les collections sont présentées de façon temporaire et transversale, réunissant ce qui, à Paris, est séparé en départements, en écoles, en techniques. Bref, le Louvre-Lens est un musée du XXIe siècle, un musée dans toutes ses composantes, dans tous ses rôles, artistique, social, éducatif. L’un des objectifs était d’éduquer le regard du public sur l’œuvre d’art. C’est rendu possible grâce à une importante médiation faisant appel aux avancées les plus récentes en matière de nouvelles technologies d’information et de communication.
Cet “autre Louvre”, ce musée de verre et de lumière résolument contemporain, délicatement posé sur un ancien carreau de mine, la fosse 9 de Lens, ce n’est pas une simple annexe du Louvre, mais le Louvre même. Le Louvre dans toutes ses dimensions et toutes ses composantes, celles d’un musée universel : une synthèse harmonieuse qui offre même des possibilités nouvelles pour les visiteurs. Ils peuvent, en effet, accéder aux coulisses et devenir spectateurs de toutes les facettes d’un musée : voir un restaurateur restaurer tableaux et sculptures et approcher ceux-ci. Ils ont aussi accès aux réserves, peuvent s’informer des conditions de présentation des œuvres et de préservation du patrimoine. Le mode de présentation des œuvres dans la muséographie d’Adrien Gardère est lui aussi totalement inédit. La galerie du Temps, axe central du Louvre-Lens, permet de présenter les collections en offrant aux visiteurs de nouvelles clefs de compréhension. C’est une autre façon de découvrir les œuvres qui, rapprochées, confrontées, nous disent quelque chose sur l’histoire du monde. À Lens, les collections peuvent être raboutées, mises en parallèle, en dialogue. La galerie du Temps, régulièrement renouvelée, est complétée par d’autres espaces : celui qui accueillera des expositions temporaires à vocation internationale ou encore le pavillon de verre, le parc et enfin le centre de ressources et d’échanges. Autant de lieux propices à l’éducation, la découverte et l’émerveillement. Car tel est bien l’enjeu, telle est la belle ambition de toutes celles et ceux qui, à Paris ou dans le Nord-Pas-de-Calais, ont travaillé à la réalisation de ce musée.
Une mutation irréversible
Le Louvre-Lens, c’est une nouvelle aile du Louvre où tout devient possible. C’est une chance pour Lens mais aussi pour le Louvre. Une occasion de rayonnement et de renouveau. Un musée dans la cité, un lieu de délectation au cœur de l’Europe qui déploie les chefs-d’œuvre du passé pour nous aider à comprendre le présent.
Quand je suis entré dans le monde des musées, il y a trente-cinq ans, on ouvrait le matin et on fermait le soir, on présentait des œuvres d’art et on ne souciait guère du reste. Depuis, les musées ont connu une mutation considérable, dans leur architecture, dans leur muséographie mais surtout par l’élargissement de leur vocation. Autrefois seulement préoccupés de présenter les collections qu’ils conservaient et qui étaient réservées à une élite, ils se montrent désormais soucieux d’accueillir tous les publics, de s’ouvrir sur le monde mais aussi d’être pour le pays, la région, la cité, un facteur de développement.
Un facteur de développement
Certes la conservation et l’enrichissement de leurs collections restent les missions fondamentales, mais des questions naguère peu ou pas considérées, comme l’accessibilité (physique et intellectuelle), sont désormais au cœur de leurs préoccupations. Le musée doit aujourd’hui non seulement recevoir le visiteur qui y vient naturellement mais aussi prendre par la main ceux qui, éloignés des pratiques culturelles, le perçoivent comme lointain et inaccessible. Il doit expliquer le passé, mais aussi susciter la création et le regard contemporain, intégrer les dernières évolutions de la connaissance, s’adapter à la mondialisation tout en gardant sa spécificité, s’adapter à l’émergence de nouveaux publics, à l’apparition et la diffusion de nouvelles technologies.
En cela, les musées jouent un rôle social et éducatif et leur propos doit à la fois toucher le connaisseur et le néophyte, l’enfant et le savant, l’étranger et le voisin. Les musées ne constituent plus un monde à part, intemporel ou seulement tourné vers un passé révolu : ils participent pleinement à la vie de la cité, au développement économique, au tourisme, au développement durable. En visitant le Louvre, Charles Péguy éprouvait un double sentiment : la promotion de l’être et la perception du long et visible cheminement de l’humanité. Je forme le vœu que les publics du Louvre-Lens, venus de France, d’Europe et du monde entier, éprouvent ces mêmes sentiments en découvrant ce joyau architectural, dépositaire de quelques-uns des plus beaux témoignages du génie humain à travers les siècles.
Henri LOYRETTE
Président-directeur, musée du Louvre
Rencontre heureuse de l’architecte, du maître d’ouvrage et du territoire.
À l’évocation d’un lieu où d’un projet, il est courant de se fabriquer une image mentale
fonctionnant par synthèse de ses propres références et de ses propres conceptions du sujet dont il est question. Aborder de cette façon le concept « Louvre-Lens », assemblage improbable au premier abord, d’un programme et d’un territoire, pouvait facilement déboucher sur la représentation d’un bâtiment d’apparence solide, monumental et occupant l’espace de façon ostentatoire. À contre-pied de cette vision urbaine et architecturale du musée, issue de la tradition, les architectes ont proposé exactement l’inverse : une architecture à la structure légère,de métal et de verre, discrète, recluse derrière un rideau d’arbres. Tout l’intérêt et la réussite de ce projet résident dans cette résolution singulière de l’équation programme-site-architecture.
La structure d’apparence légère cache en fait une grande complexité technique parfaitement
adaptée à la conservation des œuvres. L’architecture, par le choix des revêtements, notamment, sait être lumineuse et transparente là où le programme impose l’opacité. L’implantation, laissant la place à la promenade, permet d’occuper avec beaucoup de respect un espace laissé vide par la disparition de l’activité minière. L’ensemble est très présent, avec élégance, mais sans ostentation ni arrogance.
Ph. CIEREN